Le couple

Le mariage

Le mariage a lieu le 11 (24) janvier 1906 au village de Novaya Derevnia près de Saint-Pétersbourg.

Les mariages entre cousins germains étant interdits par ukase impérial il fallait trouver un prêtre point trop regardant sur les documents familiaux.

Seuls sont présents au mariage, témoins de Stravinsky, Andreï et Vladimir Rimski-Korsakov. Au retour de la cérémonie, Rimski-Korsakov les attend sur le pas de la porte. Il bénit son disciple en tenant au-dessus de sa tête une icône qu’il lui offre en cadeau de mariage. (Dans [17] Stravinsky ajoute que le compositeur lui offre également des leçons).

Le jeune couple passe une quinzaine de jours de lune de miel à Imatra, un « petit Niagara finlandais peuplé de jeunes mariés. » De retour à Saint-Pétersbourg, ils s’installent dans l’appartement des Stravinsky, 66 Canal Krioukov. Ils y occupent deux chambres contiguës où logeaient autrefois Roman et Youri.

Les fiançailles avaient été prononcées au mois d’octobre 1905 à Oustiloug dans la propriété familiale des Nossenko, après l’été que Stravinsky y passa.

Catherine avait passé trois années à Paris pour y étudier le chant (Boucourechliev)

La vie du couple

Après avoir vécu chez la mère de Stravinsky, le jeune couple s’installe dans leur propre appartement : sur la Perspective des Anglais. Leur premier enfant, Théodore naquit le 24 mars 1907, puis, vint une fille Ludmila le 24 décembre 1908.

Ils avaient l’habitude de passer chaque été à Oustiloug, mais, à présent, au lieu de rester chez les Nossenko, ils décident de construire leur propre maison. Située directement sur la Louga, à un kilomètre environ d’Oustiloug proprement dite, elle avait été bâtie selon les plans de Stravinsky lui-même. Il trouvait que c’était un endroit idéal pour composer et fit venir son Bechstein à queue de Saint-Pétersbourg.


« Le climat de la grande ville nordique où l’hiver avec ses rigueurs s’attarde indéfiniment alors que l’été avec ses langoureuses nuits blanches passe comme un rêve, n’était pas fait pour la santé délicate de Catherine. Très vite mon père devait s’en préoccuper. L’appartement pétersbourgeois de la Perspective des Anglais n’abritera plus longtemps le foyer du jeune couple. Dès 1910 mes parents décident d’abandonner les rives de la Neva. A partir de ce moment, mon père n’y reviendra que seul et n’y fera que de brefs séjours pour son travail.

Igor et Catherine venaient de construire à Oustiloug, en Volhynie à l’extrême sud-ouest de la Russie, sur des terres appartenant à ma mère et à sa sœur Ludmila, une demeure rurale et estivale qui chaque été abritera notre famille jusqu’à l’automne 1913 et, chaque année à la mauvaise saison, la maisonnée au complet se transportera sous des cieux plus cléments, en Europe occidentale, en Suisse ou sur le Riviera française.

Oustiloug, là où se situent les souvenirs les plus exquis de mes premières années. Les étés d’Oustiloug me ravissaient. Ils inondaient rétrospectivement mon enfance d’une lumière heureuse.

Les arbres nouvellement plantés donnaient autour de la maison une petite ombre fraîche et légère. Une simple palissade en bois nous séparait de nos cousins ; la sœur de ma mère avait épousé un officier de marine, Grégoire Beliankine, elle lui donna deux enfants, une fille et un garçon, Ira et Gania. Une très étroite affection unira toujours ma mère et ma tante, ce sera le lien vivant entre nos familles. Les deux ménages avaient construit deux maisons voisines. Si la nôtre était sobre, celle des Beliankine, flanquée d’une tour carrée et d’un péristyle semi-circulaire inachevé (il devait toujours le rester) me paraissait le summum de la splendeur… et à l’arrière de cet endroit mystérieux, cet enclos grillagé où quatre énormes chiens St Bernard, avaient toujours l’air d’attendre quelque chose… Et que dire de la pétaradante De Dion-Bouton de mon oncle aux énormes phares de laiton ? Je ressentais comme une humiliation que mes parents n’en eussent pas une eux aussi. Avec quels délices je manipulais l’énorme poire en caoutchouc de la trompette qui cassait les oreilles des grandes personnes toujours si délicates ! Tandis que je triomphais, hissé aux côtés de mon oncle sur le siège en molesquine, la course en plein vent autour de la pelouse me paraissait folle…

En revanche devant la maison paternelle et sous les fenêtres de mon père la consigne était au silence. Son cabinet de travail, grande pièce carrée où j’aimais à me glisser est aujourd’hui encore, jusque dans ses moindres détails, gravé dans ma mémoire. Les murs couverts d’images, le haut pupitre, le bureau Empire aux grands tiroirs, plumes et crayons, règles et gommes, encres multicolores dans des petits flacons de cristal, grattoirs de tous calibres et de différentes formes, presse-papiers japonais…que d’objets d’autant plus attirants qu’on ne devait jamais y toucher.

Sur le grand piano à queue où il avait récemment composé Feu d’artifice pour le mariage de la fille de Rimski-Korsakov, mon père avait toujours une partition en travail. A Oustiloug, éloigné de tout centre culturel, la famille, il est vrai déjà fort nombreuse, vivait forcément repliée sur elle-même. Je ne me souviens que d’un visage nouveau, celui de Stepan Mitusov, grand ami de mon père qui avait élaboré avec lui le livret du « Rossignol ».

Au déclin de la belle saison, les préparatifs de départ déclenchaient chaque année au sein de la famille un branle-bas général. Parents, grand-mères, nianias et gouvernantes bouclent les valises, ferment les malles ; sanglent les panières japonaises sans oublier les mémorables cartons à chapeaux, inconnus des enfants d’aujourd’hui, que la belle époque avait démesurément amplifiés. C’est alors qu’Igor rassemblait tout son monde. Un silence. L’ancestrale coutume russe exige que lorsqu’on quitte en famille un lieu, si on veut y revenir, il faut s’asseoir au moment du départ, tous ensemble, se recueillir quelques instants et se signer en se relevant. Cette observance était universellement respectée dans la Russie d’alors et mes parents aimaient s’y conformer. Nous les petits, malgré notre agitation, ressentions ces courts instants comme quelque chose de solennel mais très long !

Théodore Stravinsky