L’Oiseau de feu

Conte dansé en deux tableaux, composé d’après un conte national russe par M. Fokine.

Composé à Saint-Pétersbourg de novembre 1909 à mai 1910.

Dédié à « mon cher ami Andreï Rimski-Korsakov ».

Répétitions à Paris (du 17 au 25 juin 1910)

L’orchestre est dirigé par Gabriel Pierné. … Cependant les répétitions des slaves à l’Opéra sont fébriles voire orageuses. Fokine, le chorégraphe a toutes les peines du monde à faire manœuvrer sur le plateau toute la compagnie dans les décors de Golovine (tapis persan) et la danse des Pommes d’or par douze ballerines doit être réglée comme une partie de tennis. Gregoriev, le régisseur, qui a déjà la responsabilité de faire circuler deux chevaux sur le devant de la scène, n’en finit pas de mettre au point le numéro acrobatique de la belle Karsavina, suspendue à un fil de fer… Enfin, Stravinsky, lui-même, pour un simple crescendo, se fait traiter de « jeune-homme » et rabrouer par Pierné, le chef d’orchestre, seul maître après Dieu dans la fosse…

La première

Le gala de Diaghilev prévu pour le 25 juin, s’annonce comme le clou de la saison et déjà les journaux publient des interviews de Stravinsky « un tout jeune élève de Rimski-Korsakov ».

Le grand jour est enfin arrivé : tout le Gotha des grandes soirées parisiennes s’est retrouvé dans la salle. Il y a au premier rang des loges, les officiels, Louis Berthou, garde des sceaux, les ambassadeurs des Etats-Unis, de Russie et d’Espagne, les magnats de la finance, Vanderbilt, Gulbenkian, les Rothschild, les princes de la presse, Dufayel, un industriel de l’automobile Louis Renault enfin, froufroutantes, emperlées, les plus jolies actrices de boulevard, Réjane, Lantelme, Jane Harding, Berthe Cerny, Simone. A l’écart, voilée pour que l’on ne la reconnaisse pas, Sarah Bernhardt s’est fait transporter dans son fauteuil roulant. Stravinsky est davantage frappé par le parfum que par l’élégance du public.

Après « Carnaval » et les « Orientales » le rideau se lève sur l’Oiseau de feu, tandis qu’imperceptiblement s’élèvent, sourds et mystérieux, les murmures de la forêt à l’orchestre… En coulisse, cependant rien ne va ! Diaghilev qui se heurte comme les jours précédents à un mauvais vouloir des techniciens, doit prendre lui-même la commande des éclairages, car, pour exécuter le pas de deux de l’Oiseau et du Tsarévitch, Karsavina et Fokine, dans leur forêt n’y voient goutte…

Une heure plus tard, la partie est gagnée. Le public debout acclame l’œuvre. Stravinsky vient saluer à plusieurs reprises. Paris l’accueille comme le nouveau musicien de « génie ».


Bratislava Nijinska

… nous étions certains que ce ballet aurait du succès à Paris mais nous doutions qu’il puisse jamais être donné en Russie. Le livret était adapté de plusieurs contes russes et l’un d’entre eux, Katcheï l’immortel était un sujet de controverses. En 1902, Rimski-Korsakov en avait fait un opéra pour un théâtre privé. (S’agirait-il du théâtre de Mamontov ?)

Considérant le livret comme révolutionnaire, les censeurs russes avaient interdit l’ouvrage. Nous nous souvenions des journées tragiques de 1905, les troubles dans rue, la triste nouvelle que la représentation de Katcheï donnée par les étudiants du conservatoire avait été interrompue par la police, sous prétexte qu’elle incitait à la révolte et l’abolition du système autocratique (Katcheï étant censé représenter le souverain autocrate et l’oeuf, le symbole de son pouvoir).

Depuis, les opéras de Rimski-Korsakov étaient rarement joués à Mariinski. Le dernier, « La Légende de la ville invisible de Kitège et de la demoiselle Fevronia » avait été donné une ou deux fois mais aucun étudiant ne l’avait vu et aucun n’y avait participé ».

Chaliapine : Mamontov avait ouvert les portes de son théâtre aux grands compositeurs russes qu’avaient dédaignés la scène impériale. En peu de temps, il monta quatre opéras de Rimski-Korsakov.

Retour à l’Opéra : Les célébrités viennent féliciter Stravinsky : Debussy, Giraudoux, Morand, Saint John Perse, Claudel, Ravel.

Diaghilev avait payé 1500 roubles pour l’Oiseau de feu et bien qu’Igor n’en eût pas vraiment les moyens, il profite de deux représentations supplémentaires à l’Opéra (après Bruxelles) pour aller vite chercher sa femme et sa famille en Russie. Il sentait visiblement qu’il aurait d’autres occasions de collaborer avec Diaghilev et voyait se lever l’aube d’un âge d’or…


Boucourechliev

Diaghilev anxieux de présenter un nouveau répertoire pour la saison de 1910 à Paris, engage Stravinsky pour orchestrer le Nocturne en la bémol majeur et la Valse Brillante de Chopin pour le final des « Sylphides », ainsi qu’un morceau de Grieg pour les « Orientales ».

L’idée d’ajouter au répertoire une nouvelle histoire basée sur la légende de l’Oiseau de feu est apparue dans l’entourage de Diaghilev dès le début de 1909. Fokine est chargé d’élaborer le scénario ainsi que la chorégraphie. Le choix du compositeur est plus difficile, Benois veut Tcherepnine, Diaghilev, lui, veut son ancien professeur d’harmonie, A.K. Liadov. Diaghilev écrit une lettre à Liadov de Venise, d’après certains biographes, au mois d’août, et d’après Benois le 4 septembre : « Nous vous considérons tous comme notre plus grand compositeur, celui dont le talent est le plus original et le plus intéressant. »


Il ne fait aucun doute qu’après le mois de septembre 1909, Diaghilev et ses collaborateurs ont discuté du projet avec Igor. Mais, aucune commande ne lui est donnée… Toutefois celui-ci part en novembre : « Il décide de s’accorder un court séjour dans les forêts de bouleaux et dans l’air frais de la neige (Expositions) et au début du mois de novembre part rejoindre Andreï Rimski-Korsakov dans la dacha des Rimski-Korsakov, près de Lsy. Mais aussitôt arrivé, il ressent le besoin de composer, et quand il regagne Saint-Pétersbourg au début décembre il a fait un progrès considérable avec l’ouverture de la partition. En décembre Diaghilev lui téléphone (ou envoie un télégramme ?) pour lui faire la commande officielle et est très surpris d’apprendre qu’Igor a déjà commencé !


On imagine les sentiments d’angoisse et de satisfaction mêlés que devait ressentir Stravinsky à 27 ans lorsqu’il reçoit le télégramme de Diaghilev. Ayant pris sa décision positive évidemment il va se recueillir en compagnie Andreï Rimski-Korsakov dans la propriété de son maître à Lsy, mais à peine arrivé, il se met à l’ouvrage. En décembre l’œuvre est déjà bien commencée.[1]


Buckle (dans Nijinski)

D’après Expositions : Comme tous les ballets celui-ci exigeait une musique descriptive, le genre que je ne voulais pas écrire. Je n’avais pas encore fait mes preuves comme compositeur et je n’avais pas encore le droit de critiquer le sens esthétique de mes collaborateurs, mais je les critiquais, et arrogant avec ça ! mais peut-être mon âge (27 ans) était plus arrogant que moi-même. Par-dessus tout, je ne pouvais supporter l’idée que ma musique serait une imitation de Rimski-Korsakov ! ! ! surtout qu’à cette époque j’étais en pleine révolte contre ce pauvre Korsakov ! Mais si je dis que j’étais réticent à accepter cette commande, je sais, en vérité, que mes réserves sur le sujet étaient également motivées par une angoisse de ne pouvoir le faire. Mais Diaghilev le diplomate, arrangea tout. Il vint me voir un jour avec Fokine, Nijinski, Bakst et Benois. Quand tous les cinq proclamèrent leur foi en mon talent, alors j’y ai cru aussi et j’acceptais. »

Pour un compositeur qui avait commencé à travailler sur le ballet un mois avant la commande, Stravinsky se montra très « timide » ! remarquablement « timide »…


Chroniques

A la fin de l’été 1909, rentré de vacances, je reçus en télégramme de Diaghilev qui venait d’arriver à Saint-Pétersbourg, me demandant de composer l’Oiseau de feu… Pendant tout cet hiver là je travaillai avec ardeur à ma partition et lorsque je l’eus achevé au terme prévu, je sentis le besoin de me reposer quelques jours à la campagne avant de partir pour Paris.


Contradictions

A la fin de l’été, début automne, c’est Liadov qui reçoit la commande. Télégramme ou téléphone ou visite de Diaghilev en décembre ? Dans les chroniques, Igor ne fait aucune mention de son voyage à Lsy, au mois de novembre…

Le critique musical français Robert Brussell de passage à Saint-Pétersbourg est invité par Diaghilev, au début de janvier à écouter la musique de Stravinsky : « Nous nous rencontrâmes à l’heure fixée dans la pièce du rez-de-chaussée de Zamiatan P’erenlok qui a vu tant de débuts de brillantes productions. Le compositeur entra, jeune, mince, avec des yeux vagues, distants, des lèvres serrées dans un visage énergique. Il se mit au piano et au moment où il commença à jouer, la pièce modeste et peu éclairée s’illumina d’une clarté éblouissante. Le manuscrit était sur le piano, écrit d’un trait fin, au crayon, révélant un chef-d’œuvre. »

Donc, au début du mois de Janvier la partition est terminée… Brussel continue : « Dès la fin de la première scène, j’étais conquis, à la dernière j’étais éperdu d’admiration. »

Anna Pavlova refusa de danser l’Oiseau. Diaghilev avait amené Stravinsky à une soirée donnée par la ballerine dans l’espoir de la voir accepter le rôle, mais elle n’aimait pas cette musique « décadente ».


White

L’idée d’jouter au répertoire des Ballets Russes une nouvelle histoire basée sur la légende de « l’Oiseau de feu » apparaît dans le cercle de Diaghilev dès le début de 1909. Après le succès de leur saison à Paris en été 1909, Diaghilev accepte l’idée.

Le scénario fut élaboré par Fokine qui devait en créer la chorégraphie. Le choix du compositeur fut plus difficile. Benois voulait Nicolas Tcherepnine, mais Diaghilev lui préférait son ancien professeur d’harmonie, A.K. Liadov. Il se rend compte assez rapidement que ce dernier était incapable de terminer la partition pour la saison 1910. Diaghilev se tourne alors vers Stravinsky et lui commande l’œuvre au mois de décembre.

Bien que la commande ait été faite à Liadov et que la commande officielle à Stravinsky ne date que du mois de décembre, Stravinsky y travaille dès le mois de novembre…

Diaghilev a écrit une lettre à Liadov de Venise, cette lettre, d’après Benois date de du 4 septembre.

« Nous vous considérons comme notre plus grand compositeur, celui dont le talent est le plus original et le plus intéressant »…

(Certains biographes réfutent cette date comme trop tardive car Nijinski devait être de retour à Saint-Pétersbourg le 6 août … mais il est prouvé que Nijinski s’attarda et ne rentra que très tard)

Diaghilev parla certainement du ballet à Stravinsky, puisqu’ils ont d’autres projets ensemble : l’orchestration de la valse brillante de Chopin pour les Sylphides et une partition de Grieg pour les « Orientales ».

Que se passe-t-il dans la tête de Stravinsky ? Il part se reposer pour quelques jours « dans l’air rempli de parfums de neige et de bouleaux… » Au début novembre il va dans la dacha des Rimski-Korsakov rejoindre Andreï, à Lsy (où résidait le compositeur avant sa mort et où il est mort !). Mais, aussitôt arrivé, il ressent le besoin de composer immédiatement et repart pour Saint-Pétersbourg, au début décembre. Il a alors composé une bonne partie du travail.

Liadov accepte de renoncer à la commande et en décembre, Diaghilev « téléphone », « envoie un télégramme » à Stravinsky pour la lui donner. Diaghilev apprend avec surprise que le jeune compositeur a commencé !

Il n’y a aucun doute que les deux hommes se connaissaient bien avant ce fameux concert Siloti, le 6 février 1909, à Saint-Pétersbourg. En effet, ils avaient de nombreuses relations en commun : les amis de Stravinsky sont les amis de Diaghilev. Par exemple.

Stepan Mitusov, qui introduit Stravinsky à Nicolas Roerich, Nicolas Roerich, ami de Diaghilev et collaborateur… Pokrovsky, Nourok et Nouvel, fondateurs des « Soirées de musique contemporaines » sont des amis de Stravinsky et également des collaborateurs de Diaghilev.

Ils se sont également rencontrés chez Rimski-Korsakov, lors de ses concerts chez lui.

Il me parait très concevable que les amis de Stravinsky insistent auprès de Diaghilev pour lui passer ses commandes.

Diaghilev avant la saison 1910 éprouve beaucoup de difficultés, financières et autres. Kchessinskaia refuse son concours, en raison de tous les scandales associés au nom de Diaghilev la grande duchesse Marie Pavlovna avait retiré son patronage.

Le baron Dimitri de Gunzbourg devient son nouvel associé et l’aide à régler ses dettes.

La veuve de Rimski-Korsakov proteste de l’utilisation par Diaghilev de la musique de son époux : Shéhérazade.

Après le succès de l’Oiseau de feu, les Rimski-Korsakov se tournent contre Stravinsky et surtout contre sa musique. Pourquoi ? jalousie ? ou autre motif ?

Stravinsky repart pour Oustiloug après avoir achevé l’œuvre (c’est à ce moment qu’il prétend avoir eu une vision de la danse du grand sacrifice).

Il part pour Paris, assiste aux huit répétitions. (Pavlova refuse de danser le rôle : « …Je la rencontrai chez elle à Saint-Pétersbourg. Diaghilev lui avait demandé de m’inviter à une de ses soirées dans l’espoir qu’après m’avoir rencontré elle accepte de danser l’Oiseau de feu. Je me rappelle que Fokine et Bakst étaient également présents. On a bu beaucoup de champagne… mais, quoique Pavlova ait pensé de moi, elle ne dansa pas l’Oiseau. Les raisons de son refus étaient, je crois, mon Scherzo et mon Feu d’artifice. Elle considérait ma musique comme horriblement décadente… »